RD Congo: Un an après l’apparition d’une nouvelle majorité, le «bal des chauves» se termine à Kinshasa

Il y a trois ans, le 24 janvier, Félix Tshisekedi accédait à la présidence de la République. Alors que se rapproche déjà la prochaine échéance électorale, c’est l’heure d’un premier bilan et il n’est guère encourageant.

Janvier au Congo, c’est le mois des souvenirs : le 17, nul n’échappe à la mémoire de l’assassinat de Patrice Lumumba ; la veille, on se souvient de Laurent-Désiré Kabila, le « tombeur » de Mobutu, abattu à Kinshasa par son garde du corps. Pour l’actuel président Félix Tshisekedi également, ce mois est doublement symbolique : le 24 janvier 2019, à l’issue d’élections contestées, il devenait le 5e président de la RDC et incarnait le premier transfert pacifique du pouvoir depuis l’indépendance.

Le sourire du président sortant et celui de son successeur, la sérénité sinon la joie de la population qui avait accepté cet accord conclu au sommet avaient désarmé tant l’Union africaine que les Occidentaux. Déjà prêts à dénoncer le tour de passe-passe qui avait propulsé au sommet de l’Etat Félix Tshisekedi, fils de l’opposant historique mais novice en politique et mal élu, tous avaient décidé de donner sa chance au nouveau venu qui multipliait les déclarations de bonnes intentions.

Les masques tombent

Autre anniversaire de janvier : voici un an exactement, après 24 mois de cohabitation difficile, le chef de l’Etat réussissait, sans un coup de feu, à faire basculer à son profit la majorité dont disposait jusque-là Joseph Kabila et qui, disait-il, le paralysait dans la mise en œuvre de ses projets. L’« Union sacrée » était en place, tous les espoirs étaient permis. Décédé voici deux jours à Bruxelles des suites d’une longue maladie, le juge Benoît Lwamba, président de la Cour suprême puis de la Cour constitutionnelle depuis 2003, emportera le secret de ces tractations au sommet, lui qui quitta Kinshasa au lendemain de la mainmise de Tshisekedi sur la totalité du pouvoir. Malgré les achats des voix et des consciences entraînant l’effondrement de la majorité dont disposait Kabila, la population ne s’émut guère et préféra attendre les résultats, habituée qu’elle est au « bal des chauves » (parabole qui raconte qu’à la fin d’un bal qui dure toute la nuit, les cheveux des « faux chauves », rasés pour l’occasion, finissent par repousser…).

Un an plus tard, même si des ralliements opportunistes se poursuivent, comme celui d’Evariste Boshab, ancien directeur de Kabila, « les cheveux ont repoussé » : chacun montre son vrai visage et il n’est pas encourageant, alors que se rapproche la prochaine échéance électorale de 2023. Qu’on en juge.

  • Crise au sein de l’UDPS

Le plus ancien des partis de l’opposition, naguère rassemblé autour d’Etienne Tshisekedi, père de l’actuel chef de l’Etat, traverse une crise profonde. La démission de Jean-Marc Kabund, premier vice-président de l’Assemblée nationale et patron du parti présidentiel, illustre le fossé qui sépare désormais le sommet du pouvoir (occupé par de nouveaux venus issus de la diaspora), de sa base militante, celle qui descendait naguère dans les rues et ovationnait le « chef ». « Le parti au pouvoir est divisé, la majorité, aussi imposante soit-elle, demeure volatile » conclut le politologue Bob Kabamba.

  • Mesures sociales

Les décisions à vocation sociale, comme la gratuité de l’enseignement primaire qui aurait dû bénéficier à quatre millions d’élèves, n’ont pas été réellement appliquées faute de mesures d’accompagnement. Le sentiment d’improvisation a emporté la confiance des parents et du corps enseignant qui déplore toujours des retards de paiement.

  • Droits civils

Les défenseurs des droits de l’homme sont inquiets : à Goma, plusieurs militants ont été assassinés, une manifestation de soutien au pasteur Ngoy Mulunda (ancien président de la CENI) a été brutalement réprimée ; à Lubumbashi et à Kinshasa, les autorisations de manifester sont aléatoires. Et cela alors que l’UDPS a lutté durant des décennies, pour le respect intégral des droits de l’homme.

Les démocrates, qui souhaitent des élections libres et régulières, sont tout aussi inquiets : le pouvoir contrôle totalement la Cour constitutionnelle (qui doit proclamer le vainqueur des élections), la Commission électorale indépendante est dirigée par Denis Kadima (expert reconnu mais proche du chef de l’Etat), le directeur de la RTNC (Radio-télévision nationale), d’origine kasaïenne cependant, Freddy Mulumba, connu pour ses qualités professionnelles, a été viré pour indépendance d’esprit.

  • Dépenses

Les spécialistes de l’Odep (Observatoire de la dépense publique) ne décolèrent pas : ils relèvent des dépenses extravagantes comme les 6 millions de dollars alloués à la visite du président au Kasaï (son premier déplacement en terre natale), les 15 millions de dollars dépensés pour affréter des avions dans le pays et à l’étranger, le coût des 133 déplacements du chef de l’Etat qui a peut-être « remis le Congo sur la carte du monde » mais qui n’a fait que des « touch and go » dans son propre pays, faisant cependant exploser de 211,6 % les dépenses de la présidence.

  • Sécurité

L’état de siège décrété dans l’Ituri et le Nord-Kivu, mis en œuvre par des troupes aux effectifs falsifiés, a surtout permis l’intervention de troupes ougandaises. Efficaces, bien entraînées, ces dernières poursuivent les ADF (Allied democratic forces) et groupes djihadistes avec quelque succès, mais leur présence inquiète et pourrait entraîner une réaction du Rwanda qui redoute toujours le soutien apporté par l’Ouganda au mouvement rebelle du général Kayumba. Quant à la situation du Sud-Kivu, elle est dramatique pour les Tutsis banyamulenge vivant dans les Hauts-Plateaux : villages incendiés, bétail massacré, ils sont chassés vers les « basses terres » par des rebelles congolais tandis que l’armée du Burundi a décidé elle aussi de se déployer en territoire congolais, comme si ce pays était devenu une « terra nullius » où chaque voisin pouvait venir défendre ses propres intérêts.

Est-il besoin de rappeler un autre anniversaire : en 1996, c’est la persécution de ces mêmes Banyamulenge qui décida Kigali à lancer la première guerre du Congo, laquelle se termina par la chute de Kinshasa et la fuite de Mobutu en mai 1997 ?

Collette Braeckman /le Soir

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